L’histoire de Lyssenko recèle bien des mystères. Comment un homme a-t-il réussi à imposer une « technique » agricole et une idéologie pseudo-scientifique infondée alors qu’il n’avait aucun résultat ?
Trophim Denissovitch Lyssenko, technicien agricole ukrainien, est né en 1898. Issu d’une famille paysanne pauvre, il accède facilement à une école agronomique grâce à son statut social. A cette période, Staline favorise les fils du peuple qui doivent leur ascension à l’Etat et discrédite les intellectuels bourgeois. En 1929, Staline propose un plan de sauvegarde de l’économie du peuple par la collectivisation des terres des paysans pour maximiser les récoltes. Mais les agriculteurs ne sont pas tous d’accord et certains tentent des sabotages et instaurent des pénuries volontaires. Staline ne cède pas à la pression et de très nombreux paysans sont déportés. C’est dans ce contexte de crise que Lyssenko apparaît comme le sauveur du pays. Ce n’est pas un grand chercheur ni un révolutionnaire mais il vend sa technique de vernalisation comme personne. Le principe consiste à transformer des plantes en d’autres en les soumettant à des conditions spécifiques de culture. Il s’inspire de la technique d’agrobiologie inventée par Mitchourine. Celui-ci est reconnu comme le fondateur de la nouvelle biologie prolétarienne, alors qu’il n’était au départ qu’un simple jardinier pratiquant des techniques de greffe des arbres. Cette méthode, dont Lyssenko s’attribue la découverte, est mise en avant afin d’améliorer les rendements de l’agriculture soviétique et ainsi sortir le pays de la crise. Il réussit à convaincre Staline que les imposteurs ne sont pas uniquement dans l’agriculture mais aussi dans la Science, puisqu’il dénonce la génétique classique comme « réactionnaire, métaphysique, idéaliste et stérile. » Grâce à des résultats trafiqués, obtenus sur des terres et des animaux, Lyssenko se fait une redoutable réputation et peut se permettre de discréditer entièrement ses opposants scientifiques.
Celui-ci affirme : « Dans la période post-darwinienne, la plus grande partie des biologistes du monde, au lieu de continuer à développer la doctrine de Darwin, firent tout pour dévaluer le Darwinisme, pour en étouffer la base scientifique ».Weismann, Mendel et Morgan incarnent selon lui cette décadence, puisqu’ils ont fondé la génétique dite mendélienne. Cette science, jeune à l’époque, a mis au jour les mécanismes de l’hérédité en s’appuyant sur l’idée de transmission de caractères par le biais de gènes, qui en seraient le support unique. Mendel démontre que les caractères se transmettent de génération en génération. Weismann affirme que les caractères acquis ne peuvent se transmettre génétiquement et Morgan, quant à lui, reçoit le prix Nobel de médecine en 1933 pour avoir montré que les chromosomes étaient les supports physiques de l’information génétique. Alors que cette génétique, valable d’un point de vue scientifique, a dominé les esprits jusque-là, Lyssenko réussit à la discréditer auprès des grands. Le pouvoir oblige tous ceux qui travaillent sur la génétique mendélienne à arrêter leurs travaux, puis les envoie peu de temps après au Goulag. La recherche en génétique est strictement interdite et le Lyssenkisme devient l’unique façon de penser en Science.
Il contraint les agriculteurs et les éleveurs à appliquer ses théories, tout en suivant la ligne stalinienne, qui impose de travailler en collectivité, et ce afin d’augmenter les rendements. Les animaux et les plantes doivent être soumis à des conditions spécifiques censées engendrer des améliorations héréditaires. Les résultats se font sérieusement attendre, d’autant que de nombreux jeunes agriculteurs refusent de céder à ce formatage agricole et arrêtent de travailler. C’est une catastrophe pour l’agriculture du pays. Quelques proches de Staline émettent des doutes sur la théorie lyssenkiste et ses résultats mais Staline ne remet pas en cause son protégé, jusqu’à sa mort en 1953. Kroutchev, le successeur au pouvoir, continue de croire en Lyssenko et lui donne les mêmes privilèges, jusqu'à sa chute en 1964. Peu de temps après, Lyssenko est convoqué devant le comité de l’Académie des Sciences soviétique, et cette audition aboutit au discrédit complet de ses thèses.
Trophim Lyssenko était soutenu parce qu’il affirmait que les caractères acquis peuvent être transmis héréditairement, ce qui convient parfaitement à l'idéologie marxiste. Il reflète l’espoir d’une transformation de la société, qu’il s’agit d’inscrire dans le temps. Il lui donne une fondation scientifique et permet d’en généraliser la portée au monde naturel. Le Lyssenkisme peut ainsi se revendiquer comme une science prolétarienne, contre une génétique bourgeoise qui prône l’idée que les caractères acquis ne peuvent se transmettre. Du fait du triomphe de Lyssenko, la recherche génétique a été étouffée pendant des décennies en Union soviétique. Les conséquences en ont été très graves pour la productivité agricole et l'environnement mais aussi pour la recherche, puisque les compétences en biotechnologie se sont perdues.
Elodie Garand
- GRATZER Walter, « L’affaire Lyssenko, une éclipse de la raison », Médecine/Science, n° 21, 2005
- KINDO Yann, « L’affaire Lyssenko, ou la pseudo-science au pouvoir », Science et pseudo-science, n° 286, juillet 2009, http://www.pseudo-sciences.org (dernière consultation le 21 mars 2012).
- MARCIL Claude, « Le professeur aux pieds nus », Sciencepresse, http://www.sciencepresse.org (dernière consultation le 18 mars 2012).
- TIRARD Stéphane, «La vernalisation, la biologie et la politique», Pour la Science, février 2005
- BUICAN Denis, Lyssenko et le Lyssenkisme, PUF, coll. « Que sais-je ? » 1988.