jeudi 3 mai 2012

Le Buste de Nefertiti 

Fraude historique ou génie antique ?

En mai 2009, le Suisse Henri Stierlin, historien, journaliste et photographe, déclenche la polémique en affirmant que le buste de Nefertiti découvert en 1912 à Tell el-Amarna, par l’archéologue allemand Ludwig Borchart, est en réalité un faux. Les soupçons portent sur certains détails techniques qui seraient trop contemporains ou pas assez conforme aux pratiques artistiques de l’époque.
Tout d’abord, rappelons que le buste est découvert en décembre 1912, sur les fouilles de ce que l’on suppose être l’atelier de Thoutmosis, sculpteur officiel du pharaon Akhénaton, à Amarna. Un an après, des négociations ont lieu entre l’Allemagne et l'Egypte. Le buste de Nefertiti part alors pour l’Allemagne. Les autorités égyptiennes prétendront plus tard que les circonstances du transfert sont douteuses, et que l’archéologue aurait acquis la sculpture ancienne en sous-estimant délibérément sa valeur, aucune expertise n’ayant été apparemment effectuée sur place. Le musée de Berlin acquiert définitivement le buste en 1920, après qu’il est passé par la collection privée de Henri James Simon, entrepreneur, mécène, et commanditaire des fouilles sur le site égyptien. Le buste est exposé au public trois ans plus tard.

Près d’un siècle après cette découverte paraît le livre de Henri Stierlin Le Buste de Nefertiti, une imposture de l’égyptologie ? Quasi simultanément sort le livre Missing link der Archäologie de Erdogan Ercivan, écrivain allemand, connu pour être partisan de la théorie du complot. Le second livre n’a pas l’écho retentissant du premier. Stierlin étaie son hypothèse à l'aide quelques points très précis, à commencer par l’absence d’œil gauche, offense suprême, puisque dans l'Egypte ancienne, toute représentation se devait d’être fidèle au modèle, et tout détail ne correspondant pas méticuleusement à la réalité était perçu comme un manque de respect gravement condamnable. Cependant, rien ne permet de prouver qu’il n’y a jamais eu d’œil gauche. L’hypothèse selon laquelle il serait tombé ou aurait été enlevé est plausible, selon Stefan Simon, qui dirige le Rathgen Research Laboratory à Berlin.

Le second point concerne la forme des épaules : censées être taillées à l’horizontale à cette époque, elles sont à la verticale. Le directeur du musée de Berlin, Dietrich Wildung, prétend que deux autres exemplaires de taille similaire figurent dans les collections mais aucun document  n’a, à ce jour, confirmé ses dires.
Henri Stierlin fonde également ses doutes sur le comportement de Ludwig Borchart lors des fouilles. En 1912, on ne trouve aucune trace du buste dans aucun des carnets de l’archéologue et il faut attendre onze ans pour que la sculpture soit exposée et que des documents traitent de son existence, ce qui semble difficilement explicable. Le mutisme de Borchart semble étayer la thèse du faux, à moins que cette discrétion ne s'explique par une volonté de capter ce patrimoine, de tout faire pour l'envoyer à Berlin, sans attirer l'attention sur lui.

Sur un terrain plus scientifique, Alexander Huppertz et son équipe ont publié sur le site radiology une étude indiquant qu’une analyse au scanner du buste a mis en évidence une sous-couche, ce qui laisse supposer qu’il y a eu une première version de la représentation de Nefertiti, peut-être plus réaliste que celle que nous pouvons admirer. Ces résultats pourraient corroborer la thèse selon laquelle le buste servait de modèle pour de jeunes sculpteurs, disciples de Thoutmosis. Néanmoins, les résultats obtenus ne renseignent pas formellement sur l’âge du buste. En ce qui concerne les tests chimiques, aucune datation au carbone 14 n’est apparemment possible, du fait de l’absence de composés organiques, porteurs du précieux isotope radioactif. Il en est de même pour les pigments. En revanche, un échantillon de cire d’abeille utilisée pour l’iris de l’oeil droit aurait été testé. Les conclusions communiquées aux journalistes sont extrêmement prudentes, et n’affirment pas de façon catégorique que le buste est âgé de plus de 3000 ans. Est-ce parce que des doutes subsistent sur l’origine de l’échantillon, ou tout simplement parce que la publication des résultats confirmerait les dires d’Henri Stierlin ?
Nous ne pouvons pour l’instant rien conclure concernant l’authenticité du buste. La communauté scientifique reste très prudente et évite de s’exprimer sur le sujet. Nefertiti n’a donc pas encore livré tous ses secrets.

Johana HALLMANN
Bibliographie


    -     « Famed Nefertiti bust 'a fake': expert », AFP, 5 mai 2009, <http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hesdEvM5E_PC4GzRm3iHA9fAYdQg>, (dernière consultation le 02 février 2012).
    -     Ercivan, Erdogan, Missing link der Archäologie, Rottenburg, Kopp Verlag, 2009, 287 p.
    -     Huppertz, Alexander et al.  « Nondestructive Insights into Composition of the Sculpture of Egyptian Queen Nefertiti with CT1 », avril 2009, 8 pages, < http://radiology.rsna.org/content/251/1/233.short > (dernière consultation le 02 février 2012).
    -     Liepe, Jürgen, Nefertiti, photographie, Aegyptisches Museum Berlin, <http://www.aegyptisches-museum-berlin-verein.de/c53.php> (dernière consultation le 02 février 2012).
    -     Seidler, Christoph, « Berlin's Nefertiti Debate : Calling the Queen's Authenticity into Question », Spiegel Online, 21 mai 2009, <http://www.spiegel.de/international/zeitgeist/0,1518,625719,00.html> (dernière consultation le 02 février 2012).
    -     Stierlin, Henri, Le Buste de Nefertiti, une imposture de l’égyptologie ?, Paris, Infolio, 2009, 137 p.

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