L’astronome Edwin Hubble est célèbre pour la constante qui
porte son nom, et ses travaux de 1929 sur l’expansion de l’Univers. Récemment,
on a soupçonné Hubble d’imposture. Georges Lemaître, physicien belge, aurait
obtenu les mêmes conclusions que lui deux ans plus tôt…
Commençons par le résultat
de l’enquête, en dévoilant que nous ne sommes pas en face d’une « fraude
scientifique » au sens strict du terme. Edwin Hubble n’est finalement pas un
« imposteur ». Revenons sur la suite des événements.
Georges Lemaître est un
prêtre catholique belge, doublé d’un physicien émérite (il a travaillé au Harvard College Observatory). Il base
son travail sur les calculs de son collègue l’astronome Vesto Slipher (1922),
pour rédiger en 1927 un article théorique et expérimental concluant sur la
valeur du taux d’expansion de l’Univers (la future constante de Hubble). Il
obtient une valeur de 625 kilomètres par seconde et par megaparsec. Il publie
la même année ses résultats dans une revue de faible renommée, les Annales de la Société scientifique de
Bruxelles.
C’est deux ans
plus tard, en 1929, qu’Edwin Hubble publie l’article qui va le rendre célèbre
et donner son nom à la constante H. Cette célébrité explique le nom du
télescope spatial Hubble, baptisé par la NASA. Dans cet article, Hubble donne à
H une valeur plus précise, plus proche de 500 kilomètres par seconde et
par mégaparsec. Deux ans séparent donc les publications de Lemaître et de
Hubble.
Il faut retenir
qu’à cette époque, l’article de Lemaître n’avait pas encore connu d’impact
majeur, ayant été publié dans une revue mineure et francophone. En 1931, William
Marshall Smart, astronome et rédacteur en chef de la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical
Society, demande expressément à Lemaître
l’autorisation de publier dans sa revue une traduction de l’article de 1927.
Des observations sur cette traduction mènent à penser qu’Edwin Hubble est un
imposteur, et que bien que plus précis, ses travaux de 1929 sont directement
issus du premier article méconnu de Georges Lemaître.
En effet, une
étude comparative des articles français et anglais de Lemaître montre une
omission de certains passages clés, notamment celui sur la constante H. Il
paraît alors envisageable que ces passages aient été supprimés volontairement
par un tiers pour préserver le mérite apparent de Hubble. C’est la théorie de
l’astronome canadien Sydney Van Den Bergh, qui publie un article à ce sujet en juin
2011. Le mathématicien sud-africain David Block va même jusqu’à penser que
Hubble lui-même aurait pu censurer les paragraphes du belge qui lui ôtaient la
primeur de la découverte.
En juillet
2011, la communauté scientifique soupçonne un cas de fraude. C’est alors qu’un
astronome du Space Telescope Science Institute de Baltimore, Mario Livio,
décide d’éclairer ces zones d’ombre. Il publie quelques mois plus tard, en
novembre, un article disculpant Hubble ou quelque personne que ce soit d’avoir
jamais voulu censurer l’article de Georges Lemaître. Ce dernier aurait
volontairement supprimé des passages de son
texte initial, notamment des passages très importants qu’il juge pourtant « sans grand intérêt ».
Sans intérêt au regard de la publication de 1929 par Hubble, qui avait affiné
les calculs grâce à deux ans d’observation supplémentaires.
Dans la lettre
écrite par William Smart à Georges Lemaître, une lettre « n » mal
calligraphiée peut être interprétée comme un « 72 ».
L’affrontement au sein de la
communauté scientifique pour défendre ou incriminer Edwin Hubble repose en
partie sur ce détail qui semble insignifiant. En lisant « 72 », David
Block déduit que William Smart impose à Lemaître un écrémage de ses chapitres,
notamment en ôtant le passage traitant de la constante H. Mario Livio y voit quant
à lui une variable « n » laissant au
contraire au belge la liberté d’ajouter ou de rajouter du contenu dans sa
traduction.
Nous avons donc
ici une sorte de subterfuge, mais en aucun cas une fraude. Tout vient de l’humilité d’un homme qui n’a pas jugé nécessaire
de prouver à la communauté scientifique la paternité d’une des grandes
découvertes de ce siècle. Aujourd’hui, à
l’heure du brevet et du « publish or perish »,
on se demande pourquoi un
scientifique n’a pas tenu à cette reconnaissance.
De plus, les
« faits » comme l’on dirait lors d’une enquête judiciaire, remontent
à quatre-vingts ans. Seuls les documents
d’archives permettent d’éclairer cette affaire. La thèse de Mario Livio est
très convaincante, et semble tout à fait probable. Pourtant, on remarque qu’elle se base en partie sur des
interprétations, interprétations qui peuvent être diamétralement opposées : ainsi, David
Block pense que la lettre de Smart incrimine
Hubble tandis que Livio considère au contraire
qu’elle le blanchit.
The Hubble
Space Telescope gravite autour de nous depuis 1990. C’est un instrument très
important pour la recherche, qui porte donc le
nom d’Edwin Hubble, qui est pendant quelques
mois passé pour un imposteur. Il n’en a pas fallu plus pour que
certains évoquent l’idée d’honorer Georges Lemaître en donnant son nom à une
mission spatiale de la NASA ou de l’ESA, voire du prochain grand télescope
européen.
Antoine Gautier
Références :
-
« Hubble
cleared », Nature, vol. 479, 10 novembre 2011, p.
150.
-
« Edwin
Hubble in translation trouble », site Nature, 27 juin 2011, http://www.nature.com/news/2011/110627/full/news.2011.385.html
(dernière consultation le 15 février 2011).
-
BLOCK, David, « A Hubble
Eclipse: Lemaître and censorship », arXiv, 20 juin 2011, rééd. 8 juillet 2011, http://arxiv.org/abs/1106.3928
(dernière consultation le 15 février 2011).
-
Livio, Mario, « The expanding Universe : lost (in translation )
and found », novembre 2011,
http://hubblesite.org/pubinfo/pdf/2011/36/pdf.pdf (dernière consultation le 15 février 2011).
-
VAN DEN BERGH, Sydney, « The
curious case of Lemaître’s equation NO. 24 », arXiv, 6 juin 2011, http://arxiv.org/abs/1106.1195 (dernière consultation le 15 février 2011).
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