dimanche 13 mai 2012

L’Homme de Piltdown, notre ancêtre l’imposteur.



L’Homme de Piltdown, ce nom n’évoque peut être pas grand chose aujourd’hui et pourtant… cet hominidé découvert au début du xxe siècle a bien failli remettre en cause de nombreuses découvertes sur l’origine de notre espèce. 


La miraculeuse découverte    

En 1899, à Piltdown, Mr Charles Dawson, avocat passionné de paléontologie et membre actif de la Geological Society of London, découvre une carrière. Interrogeant des ouvriers présents sur le site, il les prie de bien vouloir l’avertir si d’éventuels ossements faisaient surface. Quelque temps après, un ouvrier lui apporte un fragment d’os plat. Dawson reconnaît un morceau de crâne humain. Il entreprend alors des fouilles qui durent trois ans.

Ce n’est qu’en 1912 qu’il fait appel à un vieil ami, Arthur Smith Woodward, conservateur au British Museum, pour lui parler de ses trouvailles. Dawson lui montre un crâne humain ainsi que quelques fossiles de mammifères, comme la dent d’un éléphant. Selon la technique de datation de l’époque, ces fossiles appartenant au même gisement seraient contemporains. Ils réussissent à dater la dent d’éléphant d’il y a environ 500 000 ans. Par analogie, cela correspondrait également à l’âge du crâne.

En juin, un nouveau personnage entre en scène : le jeune étudiant jésuite de Chardin. Celui-ci les rejoint dans leurs recherches et ils découvrent les vestiges d’une moitié droite de mâchoire. Cette mâchoire ressemble nettement à celle d’un singe. Néanmoins, elle présente deux molaires à l’usure plate comme chez les humains. Il est donc normal pour les trois hommes d’associer la mâchoire au crâne trouvé précédemment.

Emballé par cette découverte, Smith Woodward apporte tous ces fragments au British Museum et assemble le crâne en comblant les éléments manquants avec de la pâte à modeler. Le nouveau visage de l’Homme est alors gardé secret, jusqu’en décembre 1912 où il est présenté à la Geological Society à Londres. Ayant stupéfait les plus grands savants anglais, l’Homme de Piltdown est  exposé au British Museum de Londres en tant que « chaînon manquant » entre l’Homme et le singe.

La fierté de l’Angleterre 

Pour l’Angleterre, la découverte de l’Homme de Piltdown est une victoire, une revanche. Au début du xxe siècle, l’Angleterre est moins dotée en découvertes paléontologiques que ses voisins français et allemands. Depuis 1850, l’ancêtre de l‘Homme, découvert en France, s’appelle Homo Neandertalis. C’est donc une immense fierté pour les Anglais de savoir qu’un Homme encore plus vieux que ce dernier a été découvert sur leur territoire. Se mêlent alors fantasmes et  glorification dans les journaux anglais : « Adam serait Anglais ! », « L’Angleterre,   berceau   de l’humanité ».

Alors que le peuple se réjouit, les savants se méfient : l’homme de Piltdown, quelques mois après sa découverte, fait déjà débat. Son crâne semble nettement plus évolué que celui de l’Homme de Néandertal. Pourtant, ce dernier est de 500 000 ans son cadet. Les anthropologues français et américains supposent que les fossiles appartiennent à deux individus distincts. Néanmoins, la notoriété de Woodward et de nouvelles trouvailles vont réussir à convaincre les sceptiques. En 1913, Teilhard trouve sur le même site une nouvelle dent appartenant à la mâchoire. En 1915, Dawson trouve un second crâne et une seconde mâchoire qu’il réassemble et qualifie de deuxième Homme de Piltdown. Dawson décède un an plus tard.

La fraude démasquée

L’Homme de Piltdown demeure l’Homme le plus vieux du monde jusqu’en 1924, période à laquelle l’Australopithèque est exhumé en Afrique. Celui-ci, âgé de 4,4 millions d’années, est beaucoup plus ancien que l’Homme de Piltdown. C’est principalement après la seconde guerre mondiale que la notoriété de ce fossile est ébranlée. En effet, un nouveau système de datation est découvert : la datation au fluor. Le principe est que lorsqu’un élément repose dans un sol, celui-ci absorbe le fluor des roches qui l’entourent. Ainsi, en mesurant la quantité de fluor de plusieurs fossiles, il est possible de définir leur appartenance aux sols et leur âge relatif.
C’est un dénommé Oakley (docteur en paléontologie) qui soumet l’Homme de Piltdown à ce test en 1949. Il observe que la dent d’éléphant trouvée à Piltdown et le crâne de l’Homme ne possèdent pas le même taux de fluor et qu’ainsi ils ne peuvent pas être contemporains. Vu la faible quantité de fluor que contient le crâne, celui-ci est âgé au plus de 40 000 années. Il est alors inconcevable d’imaginer que le lien entre l’Homme et le singe ne remonte qu’à si peu de temps. L’Homme de Piltdown n’a plus sa place dans l’évolution humaine.

Le fossile posant de trop nombreux problèmes, le Dr Oakley fait appel à un prestigieux anatomiste de l’époque et son assistant : le professeur Le Gros Clarck et le docteur J.S Weigner. Les résultats de leur analyse chimique, physique et anatomique sont accablants : le crâne et la mâchoire n’appartiennent pas au même individu. Le crâne serait celui d’un Homme moderne et la mâchoire celle d’un orang-outan. De plus, ce dernier aurait été teinté au bicarbonate de potassium pour lui donner un aspect de fossile. Quant à la dent d’éléphant qui a servi de repère temporel celle-ci est bien un fossile ancien mais qui n’appartient pas au gisement de Piltdown. Elle provient d’un terrain paléontologique connu de Malte.
A la fin de l’année 1953, le bulletin géologique du British Museum annonce, quarante ans après sa révélation au monde, que l’Homme de Piltdown n’est qu’une vulgaire supercherie. Le coup de grâce est donné en 1959 avec l’arrivée de la datation au Carbone 14 : le crâne appartient à un homme du Moyen-Age et la mâchoire à un singe d’à peine 500 ans.

Qui est l’auteur de la fraude ?

Il s’agit donc bel et bien d’une fraude scientifique. On l’a même qualifiée de la plus importante du xxe siècle. Mais qui en est l’auteur ? Plusieurs grands noms de la Science ont été suspectés. Le premier est Ruskin Butterfield, conservateur du musée d’Hasting (Sud de Londres) qui a eu quelques litiges avec Dawson. Plusieurs années auparavant, Dawson avait ramené de contrées lointaines un fossile d’Iguanodon qu’il avait refusé de confier à Butterfield. Ce dernier aurait-il voulu se venger ? Passons maintenant à Woodward, le compagnon de Dawson. Il a été intégralement innocenté, du fait de sa notoriété et de sa réputation d’homme intègre.

La thèse la plus probable est que Dawson a mis en place cette supercherie avec l’aide de Teilhard de Chardin. Dawson était un homme qui voyageait très peu, il lui était difficile de se procurer des fossiles tels que la dent d’éléphant de Malte. Il se serait donc fait aider par Teilhard de Chardin qui, quant à lui, avait voyagé en Egypte pendant sa jeunesse chez les Jésuites.

Ce qui pousse à valider cette dernière hypothèse, c’est que Oakley a correspondu, des années après la révélation de la fraude, avec Teilhard. Celui-ci a dit avoir découvert le second Homme de Piltdown avec Dawson en 1913. Grave erreur : souvenez-vous, le deuxième crâne a été découvert en 1915. Teilhard se trompe d’abord sur la date. Surtout, il ne pouvait pas être présent en 1915 en Angleterre puisqu’il était au front, en France. Le mensonge de Teilhard de Chardin est ainsi considéré comme la preuve de sa culpabilité.

La question qui reste en suspens est : pourquoi ? Qu’est ce qui pousse deux hommes aux carrières accomplies à monter un tel scénario ? Le besoin de reconnaissance ? La vanité ? L’excès de chauvinisme ? Ou simplement l’envie de tester la crédulité du monde entier ?




BIBLIOGRAPHIE 


DE PRACONTAL Michel, L’Imposture scientifique en dix leçons, Seuil, 2005, leçon 5, p. 145-152.

DELUZARCHE Céline, « L’homme de Piltdown », L’internaute, 2006, http://linternaute.com (dernière consultation 21 avril 2012).
DEVILLIERS Charles, « Interrogations sur un vieux problème : l'homme de Piltdown », archive du Comité français d’histoire de la géologie, 1990, http://annales.org (dernière consultation le 21 avril 2012).

HERBERT Thomas, Le Mystère de l’homme de Piltdown, édition Belin, 2002.

MARCIL Claude, « L’homme de Piltdown : Adam était britannique », Sciencepresse, 2012, http://www.sciencepresse.org (dernière consultation le 21 avril 2012).

Chloé Pourtier

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