jeudi 10 mai 2012

Too good to be true : Mendel entre fraude et génie

Mendel, considéré comme le père de la génétique grâce à sa découverte des lois de l'hérédité, aurait falsifié et « embelli » ses résultats pour convaincre les scientifiques de l'époque de la véracité de ses théories. Aujourd'hui, il est considéré comme un génie de la biologie, malgré sa fraude. Au nom du progrès, peut-on accepter l'imposture scientifique ?


Mendel, moine dans le monastère de Brno en Autriche et passionné de botanique, commence dans les années 1850 des expériences de croisement sur des pois, faciles à cultiver et possédant de nombreuses variétés. Pendant 10 ans, il analyse minutieusement les caractères héréditaires issus des parents dans les hybrides qu’il obtient, puis il publie en 1866 les résultats de ses travaux dans un article : « Recherche sur les hybrides végétaux ». Il pose ainsi les bases des théories génétiques et de la ségrégation des caractères dans les gamètes. Les scientifiques de l'époque ne prêtent pas attention aux recherches de Mendel, qu'ils trouvent trop basées sur de la théorie mathématique ; mais en 1900, les travaux de 3 botanistes confirment les résultats et les lois de l'hérédité, et leur donnent le nom de lois de Mendel.
C'est en 1936 que Ronald Aylmer Fisher, statisticien, se penche sur les travaux de Mendel et suspecte une falsification de données. En effet, il constate que les résultats de Mendel (à savoir, les nombres de pois possédant chaque caractère étudié, sur une vingtaine d'expériences totales) sont toujours incroyablement proches de ceux prédits par ses théories, comme le résume cette phrase de Fisher : « too good to be true ». Fisher envisage trois possibilités pour expliquer les résultats de Mendel : soit Mendel a été extrêmement chanceux, de l'ordre d'une chance sur 33 000, ou bien Mendel a inconsciemment biaisé ses résultats, ou enfin Mendel les a consciemment biaisés.
Mendel était reconnu pour sa minutie, notamment lors de l'élaboration de ses expériences, ainsi que lors des relevés météorologiques qu'il effectuait pour son monastère. Fisher écarte donc les deux premières possibilités et conclut à un biais conscient : Mendel aurait écarté certains pois ou aurait inclus dans certains de ses résultats des pois provenant d'autres croisements. Cependant, Fisher était mendelien et ne semble pas avoir écrit ce papier en vue de discréditer les travaux de Mendel, mais plutôt pour célébrer son incroyable capacité d'abstraction. En effet, dans son article de 1936, il suppose que Mendel avait ses lois en tête avant d'effectuer ses croisements.
Il a été établi que Mendel connaissait les probabilités, étant donné qu'il a étudié les sciences à l'université. De plus, il était très appliqué dans ses relevés aussi bien personnels (financiers) que dans ses recherches, et amoureux de la science (il appelait ses pois ses « enfants »)... Pourquoi aurait-il délibérément falsifié ses données ? C'est ce qui est appelé dans la littérature le paradoxe mendelien : c'est justement par amour de la science qu'il aurait délibérément changé ses résultats. Cette « fraude » ne pouvait lui apporter de bénéfices financiers ni même ecclésiastiques, ce n'était en rien une falsification délibérée en vue de tromper, mais plutôt un ajustement des données pour convaincre ses contemporains, qui auraient probablement été distraits par les marges d'erreurs auxquelles ils n'étaient pas habitués. La fraude est plus efficace didactiquement que de longues discussions sur quelques pois qui ne s'accordent au modèle.

Lauranne Beyer

Bibliographie : 

BOKHARI, Faraz Ahmed et SAMI, Waqas, « Did Mendel cheat ? », Journal of Ayud Medical College Abbottabad, juillet 2007, p. 96.
HARTL Daniel, et FAIRBANK, Daniel, « Mud Sticks: On the Alleged Falsification of Mendel’s Data », Genetics, mars 2007, p. 975-979.
HARTL, Daniel L. et ORAL, Vitezslav, « What did Gregor Mendel think he discovered ? », Genetics, juin 1992, p. 245-253.
NISSANI, Moti, « Psychological, Historical, and Ethical Reflections on the Mendelian Paradox », Perspective in Biology and Medicine, hiver 1994, p. 182-196.
NOVITSKI, Edward, « On Fisher’s Criticism of Mendel’s Results With the Garden Pea », Genetics, mars 2004, p. 1133-1136.
PILGRIM, Ira, « The Too-Good-to-be-True Paradox and Gregor », The Journal of Heredity, novembre 1984, p. 501-502.
SAP, Jan, « The Nine Lives of Gregor Mendel », Experimental Inquiries, 1990, p. 137-166.

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